Sur France Info tout à l'heure : un défilé d'invités (je dis bien "invités", au masculin - avec des couilles, hein) qui se la touchent en évoquant avec délectation la nécessité impérieuse de bâtir dès aujourd'hui une véritable "économie de guerre" en Europe, avec parapluie nucléaire, re-industries d'armement (comme s'il n'y en avait pas déjà assez !), et rétablissement éventuel du service national. Leur jouissance laisse supposer qu'ils n'attendaient que ça, qu'ils en rêvaient en se rasant.
Et l'invité suivant qui disserte sur la mort de l'industrie automobile européenne si "on ne fait rien".
Tout cela pue l'extraction sans limite, les destructions environnementales, l'intoxication des subalternes, la militarisation des infrastructures, la surveillance généralisée, la répression policière brutale, les états d'urgence et les états d'exception, tout cela pue la nécropolitique, tout cela pue la MORT.
Et tout cela pue la catastrophe climatique accélérée.
https://outsiderland.com/danahilliot/de-la-guerre-envisagee-sous-langle-de-la-catastrophe-climatique/
Et tout cela n'a rien de nouveau (une économie de guerre "économique" - productiviste, en vue d'assurer la croissance - produit déjà les mêmes effets nécropolitiques partout dans le monde. Juste que là, ça va être encore pire.)
MAIS
MAIS
Tant qu'un mec comme Poutine répand la terreur aux portes de l'Europe - quel sens y'aurait-il à se dire pacifiste ? Sinon à sacrifier l'Ukraine (puis qui ? Les pays Baltes ? La Pologne ? On ne s'est guère précipité pour défendre la Georgie en tous cas).
Comme on a sacrifié les Sudètes en espérant que cette "concession" suffirait à assurer une paix durable ?
Je hais de tout mon cœur vraiment, le capitalisme néolibéral et ses Thuriféraires. Mais bordel, tant qu'un type comme Poutine n'est pas mis hors d'état de nuire, il semble que les seuls avenirs qui s'offrent désormais (et pas seulement pour l'Europe !) ce soit :
ou bien un nouveau conflit majeur (pourquoi pas nucléaire : comparé à la situation géopolitique actuelle, et les zigues qui sont au pouvoir et disposent de l'armement nucléaire actuellement, la guerre froide ressemble à une aimable partie de jeux de stratégie sur table (ce serait oublier évidemment, les dizaine de millions de morts qui furent les victimes de cette guerre soi-disant froide partout sur la planète *)
ou bien une catastrophe climatique encore plus dramatique et surtout plus rapide.
Mais ne nous leurrons pas : il n'a jamais existé rien de tel qu'une économie de guerre qui garantisse une paix durable et surtout globale. Quelqu'un, quelque part, des populations entières, et pas forcément les belligérants déclarés, paient et paieront pour ça (et ils n'ont jamais cessé de payer).
* Heonik Kwon, un des auteurs les plus importants de notre temps, a écrit concernant la guerre froide un petit livre fascinant et iconoclaste : The Other Cold War.
Un extrait :
"Comme le note Walter LaFeber, cette vision de la guerre froide n'est qu'une demi-vérité de l'histoire de la bipolarité. Elle représente l'expérience occidentale (et soviétique) dominante de la guerre froide comme une « guerre imaginaire », se référant à la politique de préparation compétitive à la guerre dans l'espoir d'éviter le déclenchement d'une guerre réelle, mais l'identification de la seconde moitié du vingtième siècle comme une période exceptionnellement longue de paix internationale serait difficilement compréhensible pour la majeure partie du reste du monde. L'ère de la guerre froide a fait quarante millions de victimes humaines dans différentes parties du monde, comme le mentionne LaFeber ; la manière de concilier cette réalité historique exceptionnellement violente avec la perception occidentale prédominante d'une paix exceptionnellement longue est une question cruciale pour saisir la signification de la guerre froide mondiale.
(...)
Si la guerre froide mondiale a été à la fois une guerre imaginaire et une expérience généralisée de terreur politique et de mort de masse, nous devons raconter son histoire en conséquence, en incluant les événements de mort sismique vécus par les communautés, plutôt que de considérer ces derniers comme des épisodes superficiels et marginaux dans une lutte de pouvoir par ailleurs pacifique et équilibrée.
Le concept général de guerre froide résiste à cet effort, mais nous ne devons pas permettre que cette lutte pour le pouvoir, au nom trompeur, continue à nous tromper et à nous empêcher de voir qu'elle a laissé derrière elle d'innombrables morts, dont beaucoup n'ont toujours pas été recensés. La fin de la guerre froide signifie donc bien plus que la fin d'un ordre politique particulier. Elle signifie la fin de la manière traditionnelle de centrer cet ordre politique sur le paradigme de la guerre imaginaire ; elle signifie la revitalisation de la lutte sémantique contre le sens dominant de la guerre froide et le début d'une pensée alternative, plus moderne, libérée d'une composition hiérarchique centre/périphérie."
https://cup.columbia.edu/book/the-other-cold-war/9780231153041